dimanche 4 octobre 2009

2 jours à tuer

Deux jours à tuer



L’alerte cyclonique les avait tous surpris.
Les consignes étaient claires : NE PAS SORTIR jusqu’à nouvel ordre !
Quelle ironie, partir pour l’aventure et se retrouver coincé, confiné sur un caillou perdu dans le Pacifique et qui plus est, dans une maison de retraite !
Un vent (normal pour un cyclone) de panique avait parcouru l’assistance quand la directrice des lieux avait annoncé la nouvelle. Mais très vite les mesures habituelles avaient été prises et comprises, ici on avait l’habitude ! En fait, rien de bien angoissant : les bâtiments de l’Ile Nou (presqu’île de Nouméa) en avaient vu d’autres, construits par les bagnards, c’était du lourd ! Et puis, ne pas sortir pendant deux jours, pour les anciens, rien de bien exceptionnel : les réfrigérateurs étaient pleins, c’était l’essentiel. Quant à lui, il avait échappé à Katrina, alors …
Alors pourquoi s’inquiéter ? Bien au contraire il voyait cela comme une aubaine ; lui l’éternel feu follet, toujours en mouvement, passant comme un zéphire, vaporeux, volatil et versatile, il allait pouvoir se pauser, se poser un petit moment : juste le temps de mieux s’attacher à ses nouveaux hôtes. Il n’aurait pas de problème de cohabitation dans cette communauté de petits vieux et de petites vieilles, ; il les aimait bien même : fragiles, sensibles, émotives, elles se laisseraient facilement séduire.
Il avait deux jours à tuer, tout au plus …

L’heure du repas approchait, mais il n’irait pas dans la salle à manger. D’une part, Emily n’y serait pas et d’autre part la pièce était climatisée et il avait horreur de la clim ! Petit à petit chacun se préparait pour aller déjeuner – un des moments clé d’une journée ordinaire de pensionnaire de maison de retraite - et comme la sieste suivrait – autre moment important ! – il avait tout son temps. N’ayant pas de chambre attitrée, de toutes façons les chambres étaient elles aussi climatisées, il choisit de rester dans la moiteur du petit salon aux persiennes habituellement ouvertes sur une jolie véranda. Aujourd’hui la chaleur et la pénombre envahissaient ce lieu de repos, il s’installa et pensa aux circonstances qui l’avaient amené là, lui, Homàr Nobody, 1er du nom.


Tout avait commencé comme une évasion. Quelques semaines auparavant, il avait décidé de quitter le Mexique et l’exploitation agricole où il exerçait depuis son enfance. Ce n’était pas une exploitation « familiale », il faut dire qu’il n’avait pas la notion de la famille. Homàr n’était pas un sentimental, il ne s’attachait pas longtemps aux gens qu’il côtoyait ou qu’il croisait, mais pouvait-on lui reprocher ?
Il était issu d’une longue lignée de migrants, de voyageurs qui avaient tous le virus de la fuite ! De ses origines il ne savait que ce que l’on en racontait, il s’appuyait sur les souvenirs des autres et cela lui suffisait. Il avait entendu dire que sa grand-mère avait quitté l’Espagne lors de la grande épidémie de grippe de 1917 pour arriver après moult péripéties dans un coin perdu du Colorado en Amérique du Nord. Elle y avait rencontré son grand-père, un itinérant allant de place en place, dans ces équipes de journaliers qui se succédaient dans les grosses exploitations agricoles. Pourquoi décidèrent-ils un jour de partir pour le Mexique, les migrations se faisant habituellement dans l’autre sens ?! L’histoire ne le disait pas. Toujours est-il qu’ils traversèrent un jour le Rio Grande (bien connu sous le nom de Rio Bravo dans le film-culte avec John Wayne et Dean Martin) et s’installèrent dans l’Etat de Jalisco parmi les paysans qui cultivaient et distillaient l’agave bleue, celle qui donne la meilleure des tequilas. Nombre d’enfants naquirent de leur union, enfants qui petit à petit se dispersèrent et s’éparpillèrent tout autour du Golfe du Mexique. C’est dans l’Etat de Tabasco, que son père rencontra sa mère, évanescente, volage et insouciante qui lui fit quelques petits avant de s’envoler vers d’autres cieux plus cléments.

Homàr était l’ainé, le premier. De combien ? Il ne le savait pas exactement. Son père s’en était désintéressé, comme des suivants, vaquant d’une exploitation agricole à une autre, sans but, sans projet particulier. Très vite livré à lui-même il chercha à se faire une place dans ce monde d’hommes durs à la tâche et de femmes surchargées de travail. Toujours pas de trace de sentiments, de douceur, il fallait juste survivre. Discret, il ne faisait pas de bruit, ne prenait pas de place. Il aimait le contact des animaux, il se sentait bien en leur compagnie : les canards l’amusaient avec leur drôle de démarche et leurs « coin-coin » incessants. Les porcs le dégoutaient bien un peu mais avec eux il était au chaud et on le laissait tranquille. C’est avec les chats qu’il avait des problèmes : avant même qu’il ne s’approche, ils hérissaient leurs poils et feulaient méchamment. Il n’avait jamais compris pourquoi. Quant aux humains, il appréciait leur contact mais ils lui paraissaient indifférents, personne ne semblait faire attention à lui, alors il se greffait à un groupe ou à un autre au gré des rencontres et des hasards de la vie. Homme ou femme, il n’avait pas de préférence ; il « fonctionnait au feeling »…

Un samedi soir lors d’une virée en ville avec ses compagnons, il rencontra un groupe d’étudiants en partance pour Sydney en l’Australie pour apprendre l’anglais. L’évocation de ce continent lointain, le nom de Bondi Beach, où ces jeunes devaient séjourner, la joie de vivre de cette petite bande qui l’avait inconsciemment adopté (pas de gaité de cœur peut-être mais tout du moins sans broncher), tout cela lui donna l’envie irrésistible de s’envoler avec eux. Il décida donc de tout quitter sans prévenir personne et le surlendemain, ils prenaient ensemble l’avion à l’aéroport de Villahermosa.

Il vécut quelque temps au sein de la petite communauté estudiantine, insouciante et délurée. Cours d’anglais le matin, sans inscription il arrivait toujours à se faufiler dans l’une ou l’autre des classes, rarement la même pour ne pas se faire repérer : il avait toujours eu le don de passer inaperçu et savait se comporter en véritable parasite ! Il côtoyait toutes les nationalités et trouvait les japonais très rigolos avec leur manie de se lever d’un seul coup et de sortir en hâte de la classe pour aller éternuer sans témoin ! Quelle différence avec ses anciens compagnons qui n’en avaient cure !
Quelques semaines de rêve passées entre les jolies plages de Sydney, les terrasses et les coffee-shops, les fast-foods et les galeries marchandes où déambulait à longueur de journée (et de soirée), une population de jeunes et de moins jeunes. Malgré leur surpoids (allant souvent jusqu’à l’obésité) ces gens ne semblaient là que pour manger au son de bruits incessants ; ils devaient appeler cela de la musique mais pour lui, rien à voir avec les airs de sa jeunesse ! Un jour de barbecue sur la plage bondée de Bondi, il fit la connaissance d’une jeune fille blonde sagement assise près d’une vieille dame qui devait être sa grand-mère. En retrait, sur la pente herbeuse qui remonte vers les terrasses, elles profitaient elles aussi du feu d’artifice improvisé en bord de mer.

BANG !

Ce n’était ni un pétard ni une fusée qui le ramena à la réalité, mais un éclair qui avait fait sauter le tableau électrique. L’œil du cyclone se rapprochait, le vent tourbillonnait et des trombes d’eau commençaient à frapper le toit et les persiennes de la résidence. On entendait alentour des bruits de feuillages déchirés, d’arbres malmenés, de tôles brinquebalées. Rapidement un brouhaha envahit les couloirs, les pensionnaires inquiets arrivaient et tout le personnel de service fut sur le pont. La directrice proposa que tous se rassemblent dans la salle à manger, l’infirmière se chargeant des malades devant rester dans leur chambre. Le groupe électrogène prit le relai du réseau électrique mais ne permit pas la remise en route des climatiseurs. On allait avoir chaud mais, lui, cela ne le dérangeait pas. C’est alors qu’il la vit descendre. Légère et élégante malgré les circonstances, les traits tirés par la fatigue et l’inquiétude mais si belle. L’infirmière lui fit signe de se joindre aux autres pour une légère collation, elle-même irait veiller sur Dorothy pendant un petit moment. Il la suivit dans la salle à manger et s’installa à ses côtés. Elle parlait peu, elle dénotait parmi tous ces vieux, elle resplendissait mais ne semblait pas s’en rendre compte. C’était pour elle qu’il avait quitté Sydney et embarqué pour une croisière sur le « Pacific Dawn » qui les avait amenés ici à Nouméa.
Décidément il ne regrettait rien, que d’aventures il vivait depuis…

Après le feu d’artifice il avait quitté la plage avec Emily et sa grand-mère, cette dernière avait été intarissable sur leur projet de croisière et il avait su se montrer léger et attachant de sorte qu’elles l’acceptèrent comme compagnon. A lui de se débrouiller pour embarquer comme passager clandestin… Depuis il jouait au touriste. Sur le paquebot ce n’était que farniente, bons repas, soirées spectacles. Il avait passé des nuits blanches dans les salles de jeux ou dans les boites de nuit. A chaque escale il se joignait discrètement au groupe, il avait découvert des îles magiques et leurs habitants accueillants et colorés. Il n’avait ressenti aucune gène, aucun rejet et il vivait au jour le jour sans penser au lendemain. A proximité des côtes de la « Grande Terre » (nom donné à la plus grande île de la Nouvelle Calédonie) l’état de santé de Dorothy s’était subitement dégradé. Fièvre, nausées, sueurs froides et engourdissements ne présageaient rien de bon à son âge. Le médecin du bord profita de la halte de Nouméa pour faire faire des examens médicaux et pour proposer aux deux femmes de les confier aux soins de la résidence de Nouville en attendant les résultats. Sait-on jamais, il y avait peut-être risque de contagion ? Homàr se devait de rester auprès d’Emily le temps qu’il faudrait et c’est en ambulance qu’ils arrivèrent à la maison de retraite médicalisée. Deux jours passèrent pendant lesquels l’état de la vieille dame ne s’améliora pas. Le paquebot avait quitté le quai Jules Ferry pour rejoindre Lifou, eux, ils feraient en temps voulu le trajet de retour avec « Aircalin ».

Et l’alerte cyclonique fut décrétée !

Un grand silence envahit les lieux. Décidément il vieillissait : il perdait la notion du temps et de la réalité et s’assoupissait plus facilement qu’avant. Il n’avait pas vu Emily partir rejoindre sa grand-mère dans sa chambre. Tous les autres étaient encore dans la salle à manger, à transpirer et à espérer que les dégâts ne seraient pas trop graves cette fois-ci. Mais l’œil de Caïn (c’est ainsi que les météorologues avaient appelé ce cyclone) était là. Dans un sens … c’était bon signe, car si sa trajectoire ne changeait pas, Caïn quitterait rapidement la Calédonie et l’alerte serait levée bientôt. Il s’amusa à suivre les parties de cartes, les discussions diverses et les attentions portées aux plus faibles : verres d’eau, mouchoirs frais sur le front… Mais était-ce la chaleur moite qui gagnait depuis que la climatisation avait sauté ou tout autre chose, toujours est-il que plusieurs pensionnaires se mirent à transpirer, à tousser, à ressentir des frissons et même à éternuer. L’infirmière et les jeunes femmes, qui assuraient habituellement le service, faisaient le va-et-vient entre la salle à manger et les quelques chambres où reposaient les personnes non-valides. Homàr prenait conscience de tout cela sans empathie, sans compassion. Sans état d’âme il tuait le temps…

Le vent souffla puis se calma, la soirée passa. Il se retrouva pour la nuit dans le dortoir improvisé pour les quelques personnes de passage restées bloquées par le cyclone. Un paravent avait été tendu pour préserver une partie de la pièce pour les femmes, dont Emily qui avait reçu l’ordre de se reposer. Les inquiétudes s’apaisaient et le sommeil gagnait. Demain l’alerte serait levée.

Une effervescence troubla la quiétude du petit matin. On vit l’infirmière, d’ordinaire si calme, descendre l’escalier en courant et se diriger vers le bureau de la directrice. Il se passait quelque chose. Puis ce furent des appels téléphoniques et l’interdiction de s’approcher de la chambre de Dorothy. Même Emily dût rebrousser chemin, elle fut doucement emmenée dans l’infirmerie tandis qu’on demanda à chacun de garder son calme : les explications viendraient en temps voulu. Toujours indiscipliné, Homàr se dirigea vers la chambre interdite mais la porte était fermée. Très vite arrivèrent médecin extérieur et policiers, le Haussariat avait mis fin à l’alerte cyclonique aux premières heures du jour. Homàr se faufila à leur suite quand ils ouvrirent la porte et en même temps que les nouveaux arrivants, découvrit le spectacle : Dorothy était tombée du lit et sous sa gorge, sa chemise était maculée de sang. Près de sa main droite ensanglantée reposant sur le lino était écrit : « Omar m’a tuer » !

Non, c’était impossible !,Elle n’avait pu comprendre, faire le lien. Comment aurait-elle pu ? Ici personne ne le connaissait. Quelle erreur aurait-il pu commettre ? Et cette erreur sur le nom, ce ne pouvait qu’être une coïncidence. Mais peut-être était-il resté trop longtemps, il lui fallait s’enfuir sans plus attendre. Et laisser Emily… A quoi bon de toute façon ? Cette vie n’était pas pour lui. S’il avait encore un avenir devant lui ce ne serait que dans l’éphémère, le clandestin. Il avait cru pouvoir s’attacher mais ce n’était pas son destin. Alors, une nouvelle contrée à parcourir, des gens différents à découvrir. Quels contacts aurait-il dans cette île du bout du monde ? Comment serait-il accueilli, toléré, accepté ? Les courtes étapes dans les îles de la région avaient été très positives. Combien de temps pourrait-il rester là avant de reprendre un bateau ou un avion et continuer son voyage sans fin et sans but si ce n’’est de laisser une trace de son passage…
Comme un fantôme il s’évapora et se cacha en attendant la suite des évènements. Les policiers commencèrent à mener leur enquête et quand, à la demande de celui qui devait être le chef, l’un d’entre eux se dirigea vers la voiture de police où l’attendait un confrère, il le suivit discrètement. Après un bref coup de téléphone, le policier démarra et la voiture partit vers le commissariat. Ils ne s’étaient pas rendu compte qu’Homàr avait eu le temps de se glisser derrière eux.

C’était vraiment trop drôle arrivé en ambulance le voilà qui s’évadait entre 2 gendarmes ! Peut-être même s’offrirait-il le plaisir de rester quelques heures dans le commissariat, histoire de rire comme il se doit dans une gendarme-rie… Ensuite il leur fausserait compagnie et trouverait bien le moyen de jouer une fois encore la fille de l’air. Pourquoi pas un petit tour vers le marché qu’il savait être près du port ? Même s’il se sentait fatigué, la ville était à lui !
De toute façon c’était certain, Homàr Nobody, 1er du nom, n’avait pas dit son dernier « maux » !

***

Gros titre dans Les Nouvelles Calédoniennes

EPIDEMIE DE GRIPPE sur le territoire !
Après le cyclone Caïn qui a fait de nombreux dégâts, le territoire est confronté à une épidémie de grippe A. Le virus H1N1 de la grippe mexicaine (aviaire et porcine) serait arrivé en Calédonie par voie maritime, des mesures draconiennes vont être prises immédiatement pour enrayer cette épidémie qui a déjà fait un mort (une vieille dame à Nouville) et qui risque de provoquer d’autres décès. Lire en page 2


Page 2 : Suite de l’article : les policiers de Nouméa sont en émoi : les résultats de l’autopsie réalisée sur la vieille dame australienne décédée à Nouville la semaine dernière, ont démontré que celle-ci était décédée d’une grippe virale d’un nouveau type dont le virus H1N1 serait à l’origine, mais pourquoi cette vieille dame a t’elle tracé sur le sol « Omar m’a tuer »… Le commissaire Davois est sur les dents. Bien connu pour sa faculté à résoudre les enquêtes les plus difficiles (rappelons-nous de la mort suspecte du psychothérapeute F.Germain) il devrait d’ici peu nous faire part de l’avancée de ses recherches. Mais pour le moment, tous se perdent en conjectures …

Malheureusement, le virus s’est propagé et de nouveaux malades ont été admis à l’hôpital Gaston Bourret où des mesures drastiques ont été prises. Selon les scientifiques, il s’agirait bien d ‘une pandémie puisque de nombreux cas se sont déclarés à travers le monde.

Frédérique , Août 2009

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